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10 - LA SEROPHOBIE

Dernière mise à jour : 3 mai 2021


Illustration @mehdi_ange_r (INSTAGRAM)

La SÉROPHOBIE.

Un drôle de mot relativement récent.

Mais qu’est-ce que cela signifie finalement ? Comment cela s’exprime ?

L’un des premiers contextes où j’ai pu y être confronté est évidemment d’ordre sentimental. J’ai déjà eu l’occasion dans mon tout premier récit « LE DÉCLIC » de vous raconter une situation de rejet. Il y en a eu de nombreuses :

  • celui qui vous rejette sans essayer de comprendre ;

  • celui qui essaie en vain de dépasser ses propres préjugés, parce que l’idée même de pouvoir rejeter l’autre uniquement pour ce fait lui renvoie une image de lui-même qu’il ne tolère pas, pour finalement se comporter en gros connard afin que vous décidiez de ne plus jamais le voir. C’est un peu le pire car finalement le moins honnête avec vous mais surtout avec lui-même ;

  • celui qui assume sa phobie et intolérance et qui annonce directement la couleur, notamment sur les applis de rencontres : « Ch mec clean ».

Pas la peine de revenir sur la valeur discriminante du mot. Ce même mec d’ailleurs assume souvent son racisme : « Pas attiré par asiat », « Aime black et grosse b*** ».

Et pour terminer, il est aussi grossophobe : « Mec fit pour mec sportif ».

À mon sens, celui-ci est le moins dangereux dans mon cas. Malheureusement ce type de profil est tout à fait banal sur les applications du type Grindr. J’ai même envie de dire que l’appli elle-même encourage les discriminations. Après, personnellement, ça ne m’a jamais véritablement blessé, mais il est tout de même important de signifier qu’il s’agit là de discriminations totalement banalisées et décomplexées.

J’ai souvent fait preuve d’empathie dans ces situations de rejet : « Mets-toi à sa place », « Il est jeune, c’est normal », « Il n’est pas suffisamment informé ».

J’avais le besoin de trouver une explication autre que : « Ce mec est un gros con. »

Ces justifications n’étaient pas forcément très pertinentes mais au moins elles avaient le mérite de faire diversion du rejet pur et simple auquel j’ai eu droit. Comprendre l’autre, voilà ce que j’ai toujours essayé de faire et souvent au détriment de me comprendre moi-même.

Autre contexte dans lequel j’ai été confronté à cette sérophobie : chez le dentiste.

Comme vous le savez, la plupart du temps lorsque vous allez chez un spécialiste, celui-ci vous demande tous vos antécédents médicaux, si vous suivez actuellement un traitement, etc.

L’année dernière, j’ai été consulter un cabinet de jeunes dentistes. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas fait de bilan. La médecin ne m’a posé aucune question. Je me suis demandé : « Dois-je le dire si on ne me demande rien ? ». Je n’ai pas osé.

La dentiste n’a mis ni gant ni lunettes de protection. Une fois de plus je me suis dit : « Dois-je lui dire ? ». Je n’ai pas osé.

Étant indétectable je savais qu’il n’y avait pas de risque, néanmoins j’ai culpabilisé de ne pas l’avoir dit de moi-même. J’avoue que ce petit questionnaire qu’on vous donne avant la consultation est bien pratique. Mais là il n’y en avait pas eu, et il n’y avait pas eu de questions à l’oral non plus.

Vient le moment de l’encaissement. Elle me prend ma carte vitale :

« Vous avez une ALD ? (Affection Longue Durée)

- Oui, je suis séropositif, sous traitement et indétectable depuis toujours.

- Vous auriez pu me le dire.

- Vous ne m’avez pas posé de questions. »

La dentiste avait été adorable avant tout cela ; tout avait changé, d’un coup. Je suis parti, la boule au ventre, me disant que j’aurais dû en parler de moi-même, que ça m’aurait évité cette humiliation.

À 22h passées, ce jour-là, un appel sur mon portable. J’étais au restaurant et j’ai tout de suite senti de quoi il retournait. Je n’ai pas répondu. Le même numéro m’appelle le lendemain matin :

« Bonjour, c’est la dentiste d’hier.

- Bonjour.

- J’ai repensé à ce qu’il s’est passé hier et je suis allée à l’hôpital prendre une trithérapie d’urgence. Vous auriez dû me prévenir, j’aurais pris mes précautions. Pouvez-vous m’envoyer vos dernières analyses ?

- Je n’ai pas la version papier, c’est l’hôpital qui les conserve.

- Pouvez-vous leur demander de vous les envoyer et me les transmettre par mail. Après tout, il n’y a que votre parole qui me dit que vous êtes indétectable, et si c’est bien le cas cela m’évitera de prendre le traitement pendant un mois. »

Je suis resté très calme, après tout je culpabilisais depuis la veille. J’avais sûrement fait quelque chose de mal. Je devais probablement m’exécuter. J’ai appelé l’hôpital et la professeure qui s’occupe de moi m’a pris au téléphone :

« Cette dentiste ne vous a pas posé de questions sur vos antécédents médicaux ?

- Non, mais j’aurais dû lui dire j’imagine.

- De toute façon, elle avait sûrement mis des gants… Je ne comprends pas pourquoi elle veut vos résultats.

- Elle n’avait pas de gants.

- Mais ce n’est pas possible. Donnez-moi son nom. »

J’ai refusé. La professeure a dans un premier temps refusé de me transmettre les résultats, me disant que c’était confidentiel et que si cette dentiste avait fait correctement son travail elle ne m’aurait pas mis dans cette situation. Je lui ai expliqué que cette pauvre fille avait l’air vraiment paniquée et que j’aimerais bien m’éviter un nouveau coup de fil nocturne. Elle me les a finalement transmis.

J’ai longtemps culpabilisé de cette situation. Je n’avais jamais vécu cela. Même mon ORL une semaine plus tôt m’avait fait remplir une fiche de renseignements, et évidemment j’avais parlé du VIH. Non je crois que pour cette fois-ci je n’ai aucune raison de culpabiliser.

Dernièrement un dentiste a refusé de me faire un détartrage. Je sais par d’autres témoignages que cela arrive malheureusement souvent.

Dans le milieu professionnel je n’ai été confronté qu’une seule fois à cette indélicatesse.

Quand j’ai appris que j’étais séropo j’avais un job que je pourrais qualifier d’alimentaire, mais j’adorais travailler pour cette boîte. J’ai eu de nombreux hauts et bas pendant les premiers mois liés aux traitements et je crois que les personnes qui étaient censées me manager ne savaient pas du tout gérer cette situation. On m’a proposé une rupture conventionnelle, en me demandant d’être très discret et caractérisant celle-ci de "faveur" à mon égard. Sur le moment je l’ai très mal vécu. J’ai vraiment eu le sentiment qu’on me retirait la seule activité qui me faisait penser à autre chose…

Évidemment j’ai avancé depuis, mais après cet épisode je n’ai plus jamais évoqué cet aspect de ma vie au travail. Je l’ai dit, mais souvent une fois que j’avais démissionné pour un autre job et essentiellement à des collègues devenus ami•e•s.

C’est évidemment très compliqué à gérer : je n’ai pas envie d’en parler car si j’en parle les gens peuvent penser que je suis moins capable qu’eux. Bien évidemment c’est faux. Mais parfois je suis fatigué, parfois le traitement me rend malade (encore aujourd’hui ça peut arriver) et je dois en dire le moins possible alors que probablement j’aurais juste envie de partager les choses comme elles sont.

En étant vraiment honnête, je ne sais même plus ce dont j’ai envie car je me suis tellement habitué à ne pas en parler pour ne pas créer de malaise. Mais il est vrai que parfois quand on me dit : « Oula, t’as fait la fête hier, t’as l’air défoncé »… J’aimerais répondre que non, je me suis couché à 23h et que j’ai dormi huit heures, mais que mon médoc me donne la nausée et que c’est probablement ça qui m’épuise, tant physiquement que psychologiquement. Mais non, je souris et probablement acquiesce parce que c’est plus simple.

Toutes ces petites choses qui se passent, se disent, les non-dits également, ça m’abîme. Ça m’a abîmé. Dans l’interview que j’ai faite pour Têtu, sur le montage, il y a le portrait d’une dame qui dit : « Je ne comprends pas que l’on rejette la personne, c’est la maladie qu’il faut rejeter, pas l’être humain. » C’est un peu ça finalement. C’est une double peine.

Je suis malade, je prends un traitement quotidien pour rester en bonne santé et en plus je dois subir l’ignorance des autres. À quel moment on me demande si je vais réellement bien ? À quel moment je reprends ma place au centre de ma vie et cesse de m’oublier au bénéfice de l’équilibre des autres ?

C’est probablement ce que je suis en train de faire maintenant.



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