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18 - SIDERATION

Dernière mise à jour : 3 mai 2021


Illustration @mehdi_ange_r (INSTAGRAM)

La culpabilité ?

Je me sens coupable, souvent, de beaucoup de choses.

Je n’avais pas réalisé que ce sentiment faisait partie de moi et je ne l’ai compris qu’assez récemment.

Comme vous le savez, quelques jours après le lancement du blog, j’avais eu l’opportunité de faire une interview pour TÊTU. Jamais je n’avais eu à faire cet exercice.

Je me rappelle la bienveillance de la journaliste, de la liberté qu’elle m’avait offerte pour m’exprimer et d’une question qu’elle m’avait alors posée : « Comment vous vous sentiez au tout début lorsque vous aviez appris votre séropositivité ? ».

Je lui avais répondu des banalités du type : « Bouleversé, triste… ».

Elle : « Coupable ? ».

Je crois avoir perdu le fil à ce moment-là car je ne m’étais jamais interrogé sur le fait de me sentir coupable ou non. La seule culpabilité que j’avais ressenti à l’époque était de faire de la peine à mon entourage et de les inquiéter.

Mais sa question s’orientait d’une autre façon. Est-ce que je me sentais coupable d’avoir contracté le VIH lors d’un supposé rapport sexuel non protégé, et donc d’une prise de risque ?

Ce que je m’apprête à écrire maintenant va probablement bouleverser quelques personnes importantes, qui ne sont pas au courant, mais avant de continuer je souhaiterais que ces personnes-là ne me jugent pas sur mon silence, ni sur le fait d’écrire aujourd’hui tout cela ici, et de ne pas avoir parlé à l’époque.

Fin d’année 2017, j’ai révélé à mes ami·e·s proches, un·e à un·e, comment j’avais contracté le VIH.

J’avais souvent évoqué le sujet, en changeant mes versions avec quasiment chaque personne car il faut croire que je n’étais pas forcément prêt à les encombrer de la vérité.

Neuf années sans ouvrir la bouche.

Je l’avais fait une fois avec une collègue amie, mais sa réaction avait tellement été dramatiquement émotionnelle que je m’étais dit : « Ok, donc ça, tu ne peux le dire à personne. C’est trop à encaisser. »

Et depuis rien. Mais clairement une partie de moi avait envie que la vérité se sache puisque mes ami·e·s proches auraient pu en discuter entre elleux et auraient alors constaté les divergences entre ce que j’avais pu dire à l’un·e ou à l’autre.

Mais non.

Qu’est ce qui a fait que j’en ai parlé ?

Tout simplement parce que des séquelles se sont construites sur ces neuf années de silence.

De l’agressivité envers les gens que j’aimais, des angoisses à l’idée de prendre les transports en commun, et de l’angoisse de vivre tout simplement.

J’ai eu la chance de croiser des personnes qui ont su canaliser ces névroses, sans même en connaître les raisons, et cela m’a énormément aidé. Mais lorsqu’en 2016 je me suis retrouvé célibataire, sans N pour m’appuyer, tout m’est revenu en pleine face.

J’ai pris le bus pendant un an et demi pour aller travailler, ce qui impliquait de tripler mon temps de trajet par rapport à l’époque où je prenais le métro (j’habitais à Paris à cette époque), tout ça parce que je ne supportais plus les gens, l’agressivité, la proximité, les interactions diverses et variées. Pour moi le bus c’était la liberté et en même temps cela me demandait pas mal d’organisation dans mon quotidien.

Un soir de septembre en 2008, j’étais rentré chez moi complètement ivre.

J’habitais au métro Voltaire à l’époque, dans une chambre de bonne minable, avec les chiottes sur le palier que je partageais avec trois autres personnes. Je suis arrivé devant ma porte d’entrée et je me rappelle avoir tellement galéré pour mettre la clef dans la serrure. Mon voisin était alors sorti pour me taxer une cigarette mais je n’en avais pas sur moi. De mémoire je crois que j’en avais dans l’appart donc je lui avais demandé de m’attendre et j’allais lui en apporter une.

Il est entré dans l’appartement sans que je l’ai invité et je n’ai pas pu empêcher ce qu’il s’est passé par la suite.

J’ai très peu de souvenirs.

Je sais juste que j’ai eu peur quand tout ceci est arrivé, que j’ai difficilement pu me défendre et que je crois même n’avoir pas réussi à sortir un mot. À partir de l’intrusion dans mon appartement, j’ai su que ça n’allait pas bien se passer. Avec un peu de recul je crois que si je n’ai rien fait pour me défendre c’est que premièrement j’en étais physiquement incapable et que surtout je voulais éviter que cela soit trop violent et donc trop “traumatisant”.

Par contre, trou noir pendant le rapport forcé. C’est comme si mon esprit avait sauté hors de mon corps pour que je n’aie plus aucun souvenir ni de mémoire “physique” de l’acte. Dommage pour moi car si mon esprit n’était plus dans mon corps, il était à l’extérieur et il a tout observé.

Je me rappelle avoir entendu claquer la porte quand il a eu fini, et je crois même qu’il m’a remercié pour la cigarette en me disant « À plus ».

Je suis resté en état de sidération et le lendemain j’oubliais absolument tout. Il valait mieux tout oublier de toute façon.

Deux semaines après, je tombais gravement malade sans que le VIH soit encore diagnostiqué sur ma prise de sang. « Symptômes mononucléosiques », m’avait-on dit. J’ai cru que j’allais mourir pendant cette période.

Et puis j’avais repris des forces et j’ai rencontré D. La suite vous la connaissez.

Sur le moment, je n’ai pas ressenti l’envie de déposer une plainte. Je crois même ne jamais avoir légitimé cette anecdote comme pouvant être le sujet d’une plainte.

Même en parlant avec mes ami·e·s en 2017 pour moi cela n’était pas si évident. J’ai fait des recherches sur ce type d’agression et j’ai entendu beaucoup de témoignages de garçons qui ont osé délivrer leur histoire.

J’ai préféré m’éviter une humiliation supplémentaire.

Quant à la culpabilité, en effet je l’ai depuis ce fameux soir. Celle d’avoir été incapable de le repousser, de me défendre ou de demander de l’aide. Mon esprit m’a complètement dépossédé ce soir-là sans que je sache pourquoi c’est arrivé. Donc oui je culpabilise de cette faiblesse-là.

Pour la suite, pour mes parents, pour mes sœurs, pour mes ami·e·s, pour les garçons que j’ai aimés : je suis désolé si vous ressentez de la peine en lisant ceci, mais c’était bien plus simple pour moi d’endosser la responsabilité totale quant à ma sérologie et finalement de vous dire : « J’ai eu un rapport non protégé », et à mon sens cela était bien plus intelligible pour vous.

Je me soigne, je soigne mon âme, j’ai besoin encore d’avancer et je savais qu’il était important que cela s’exprime de cette façon un jour ou l’autre.

Il y a eu beaucoup de dégâts collatéraux, des amitiés auraient pu se perdre, des amours ont fui, tout simplement parce que mon silence m’avait rendu différent. Je me suis retrouvé quand j’ai parlé à mes meilleur·e·s ami·e·s. J’espère que vous m’avez pardonné depuis.

Grâce à vous j’ai compris que je ne devais pas culpabiliser, mais il va me falloir du temps pour en être convaincu. Je ne me sens pas non plus victime. J’ai juste été là au mauvais moment, au mauvais endroit.

J’ai décidé de m’occuper de l’avenir. J’ai tout de suite su que ce qui pouvait me guérir serait de visualiser demain et non pas de m’apitoyer sur hier.

Cela va peut-être vous paraître très arrogant, mais là tout de suite, je suis fier de moi.



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