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2 - LE DECLIC

Dernière mise à jour : 3 mai 2021


Illustration @mehdi_ange_r (INSTAGRAM)

J’ai décidé pour mon premier vrai récit de vous partager l’origine du déclic que j’ai eu concernant le lancement du blog.

Déjà, cela fait très longtemps que j’écris pour évacuer, sans forcément faire lire quoi que ce soit à personne. Sans l’écriture, je pense que je ne serais plus là.

Le déclic, je l’ai eu grâce à un garçon ce samedi. Enfin que dis-je ? Ce n’est pas seulement grâce à lui, c’est aussi grâce à tous les autres. C’est une accumulation de tout ce qui a pu se passer depuis dix ans. Mais oui, samedi je me suis retrouvé dans une situation que je ne veux plus revivre, et j’ai compris que deux options s’offraient à moi : soit je continuais de souffrir terriblement du rejet, soit je libérais ma parole pour survivre. Il semble que j’aie choisi la seconde option.

J’ai donc rencontré un garçon il y a une semaine après avoir échangé avec lui sur Tinder pendant quelques jours. Malheureusement il n’était que de passage sur Bordeaux mais nous avons eu envie de nous revoir malgré la distance. J’ai donc été cordialement invité à venir passer le week-end à Nantes.

Je me suis posé beaucoup de questions concernant cette distance et ça n’est qu’au dernier moment que j’ai décidé de prendre ma voiture pour y aller. Je suis parti vendredi soir, sous une pluie torrentielle, ce qui n’est pas très étonnant vue la période de l’année dans la région. Il faut savoir que je déteste conduire, encore plus la nuit, et encore plus sous la pluie. À croire que j’avais vraiment très envie de revoir ce garçon.

Nous avons passé la fin de soirée à bavarder, très naturellement, et je ne me posais absolument aucune question. Enfin si, peut-être celle de savoir si je lui plaisais autant qu’il me plaisait, mais finalement le fait même qu’il m’ait invité répondait à cela.

Le lendemain nous avons un peu visité la ville, étant donné que je ne connaissais pas du tout Nantes, le tourisme s’est avéré être une étape obligatoire de mon séjour. Nous avons déjeuné avec des ami•e•s à lui. J’ai été très étonné de cette initiative mais franchement, je n’avais pas du tout envie d’analyser ce qu’il se passait. Tout se déroulait finalement bien. Nous avions d’ailleurs prévu de retrouver ce même groupe d’ami•e•s le soir même pour dîner.

Après une longue balade sous la pluie, nous avons décidé de rentrer. Nous avons regardé un film – très mauvais – puis un second film a été lancé.

Ayant partagé une certaine intimité dans la nuit, l’idée de lui dire que j’étais séropo ne m’a pas quitté de la journée. Depuis toutes ces années, je fais en sorte d’en parler le plus rapidement possible avant même que les choses deviennent sérieuses, histoire d’évacuer ce problème - qui n’en est pas un - de ma tête. J’ai constaté que tant que cela n’avait pas été verbalisé je ne pouvais pas être moi-même, ce qui est compliqué quand on rencontre quelqu’un.

Je lui ai demandé de mettre le film en pause car j’avais quelque chose à lui dire. Je me suis donc lancé, les yeux dans les yeux, assis sur son canapé, côte à côte, et je me suis confié. Rares sont les fois où j’ai utilisé ma voix pour parler de ma séropositivité à un garçon. J’ai souvent usé d’autres médiums, l’écrit notamment, mais là j’avais envie de le lui dire en face. Tout de suite j’ai vu dans son attitude que la pilule ne passait pas du tout.

La première chose qu’il m’a dite a été : « Décidément, je n’ai pas de chance. » Forcément je me suis inquiété de savoir pourquoi. Il s’avère qu’une expérience similaire lui était arrivée un peu avant de me rencontrer et qu’a priori il avait très mal vécu quand le garçon lui avait parlé de sa séropositivité. J’ai eu droit au discours hypocrite du : « Merci de ton honnêteté, je sais que ça ne doit pas être facile… Mais… ».

Le fameux “mais”, que je connais si bien. Mais quoi ?

« Mais s’il y a bien une chose qui me fait peur c’est d’attraper le VIH, donc il n’y aura pas de suite à tout ça. »

En une fraction de seconde je suis donc passé de « Petit copain potentiel, sait-on jamais si ça se passe bien » à « Oh mon dieu, ce garçon a le VIH, et aussi chouette soit-il ça n’a absolument plus d’importance ».

Voilà ce que je vis depuis dix ans. D’un coup, je n’existe plus. Je ne suis plus un être humain, je suis l’incarnation du mal, de la mort, des frayeurs socialement ancrées, qui n’ont bien évidemment plus lieu d’être mais pourtant persistent dans notre société.

Inutile de vous dire la violence des mots et l’effet dévastateur que cela a eu sur moi. Pour imager un peu, j’ai clairement eu l’impression de me prendre un poing dans la gueule.

Je suis parti dans la foulée de chez lui. J’ai retenu très fort mes larmes,je ne voulais absolument pas m’effondrer devant ce garçon. Honnêtement je n’avais pas eu de coup de foudre pour lui donc ça n’est finalement pas tant une déception sentimentale, mais plus un ras le bol général et un épuisement de tout garder en moi pour ne pas gêner les autres, les mettre mal à l’aise, puisqu’on finit par avoir honte finalement d’être porteur•euse du VIH. On culpabilise et la moindre rencontre devient pesante quand elle s’envisage de façon sérieuse parce qu’on sait que l’on va devoir se dévoiler entièrement.

Je suis arrivé dans la voiture, la nuit était déjà tombée, et il pleuvait encore plus fort que la veille. J’ai pris le volant, sans verser une larme. Ça n’est que plus tard sur la route en discutant avec une amie que j’ai réussi à expulser ma déception. Mais avant même d’être triste, ce que je ressentais c’était de la colère.

Je ne vais pas vous mentir, sur l’autoroute une idée noire m’a traversé l’esprit. Mais très vite je me suis ressaisi et j’ai su ce que je devais faire.

Aujourd’hui vous lisez mon premier récit, et j’espère qu’il y en aura de nombreux autres. Celui-ci parle de ce qui a finalement provoqué le déclic, d’autres traiteront de mes expériences passées et à venir, avec ma famille, mes ami•e•s, mes collègues, mes amours, mon traitement…

Dans tous les cas, je viens de franchir une étape importante qui, j’en ai pleinement conscience, risque de changer ma vie profondément. Mais ce que j’entrevois désormais est positif. Il est hors de question que l’ignorance, la discrimination continuent de m’éteindre à petit feu, de nous éteindre tou•tes. Nous avons une voix, utilisons-la pour nous raconter.

Aujourd’hui je suis enfin libre.



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