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11 - L'AMOUR

Dernière mise à jour : 3 mai 2021


Illustration @mehdi_ange_r (INSTAGRAM)

Lorsque j’ai appris ma séropositivité, je venais de rencontrer un garçon, D.

Mon amie P est à l’origine de notre rencontre : j’ai découvert D sur le profil Facebook d’une amie de P et je suis instantanément tombé amoureux... d’une photo.

« Vas-y écris-lui, tu n’as rien à perdre. »

P m’avait encouragé à me manifester auprès de cet inconnu et bien évidemment j’avais suivi ses conseils. D m’avait répondu relativement rapidement. S’en étaient suivi deux semaines de longs messages où nous nous découvrions, nous posions des questions, échangions des musiques, des lectures, des films. J’ai beaucoup de mal à trouver les mots justes pour décrire ce que je ressentais à ce moment-là, mais c’était très fort.

D est venu me voir à Paris très rapidement. Quand je l’ai eu en face de moi tout s’est confirmé. Il était magnifique. Il avait cette façon de me regarder… Personne ne m’avait regardé comme cela. C’est incompréhensible mais nous avons eu ce lien dès nos premiers échanges par message. Un lien dans un premier temps intellectuel, puisque j’adorais sa façon d’écrire, qui s’est confirmé par sa présence physique : le coup de foudre. D vivait à Caen. Nous n’avons jamais saisi ce détail comme prétexte pour nous poser des questions. Bien au contraire. C’était ainsi et nous nous en accommoderions. Est venu, quelques semaines après ce moment où nous avons décidé de faire un test de dépistage. Nous étions sur un nuage tous les deux. Nous sommes tombés de très haut.

D est resté.

Il m’a retrouvé le lendemain (ou le surlendemain je crois) à Paris. Nous avons beaucoup pleuré. Pour être très franc, les premiers jours après l’annonce je n’étais plus vraiment moi-même. J’étais complètement sonné. Je suis parti deux semaines à Caen chez lui pour encaisser la nouvelle et prendre du recul. Nous nous sommes retrouvés en immersion tous les deux et je me suis totalement laissé porter. J’ai le souvenir qu’à l’époque les choses étaient simples. D était étudiant en médecine. Il passait beaucoup de temps à réviser, apprendre, lire... Moi, j’avais pris quelques habitudes auprès de lui : lire un livre, préparer le thé, de temps en temps passer derrière lui pour le serrer fort dans mes bras. Ces quelques jours ont été très doux. Avec lui j’ai découvert comment aimer avec le virus.

Cette première fois où nous avons eu un rapport sexuel après que j’ai eu connaissance de ma sérologie a été très difficile à vivre. Je n’y ai pris aucun plaisir. Je savais que je devais le faire et surtout que je devais avoir confiance en lui. J’avais pourtant terriblement peur de le contaminer à l’époque. Il m’a appris à comprendre et accepter ma maladie. Sans lui, je pense que j’aurais développé un traumatisme. Qui sait, je n’aurais peut-être plus jamais eu de relations sexuelles. Il m’a aidé à ne pas perdre totalement confiance en moi. L’avoir eu à mes côtés pendant presque deux années m’a permis de me structurer vis-à-vis de cette nouvelle vie. On a beau dire que ça ne change rien, sur le moment quand même, tout est bouleversé.

Quand on m’a invité à accepter la fameuse rupture conventionnelle que j’ai évoquée dans mon précédent récit, je me suis retrouvé sans travail. Très vite D m’a suggéré de venir vivre à Caen. J’avais besoin de me reconstruire dans le calme, loin de Paris, et j’avais le sentiment que je ne pouvais le faire que si je me rapprochais de lui. Je n’ai pas de regrets. Je pense que cette période a été nécessaire pour moi. Elle m’a fait énormément de bien. Pendant neuf mois nous nous sommes construit une bulle rassurante auprès de sa famille, ses ami•e•s. Cette bulle m'a sauvé.

Quand il m’a quitté, j’ai tout perdu : mon amoureux, mon meilleur ami, mon médecin et tout l'entourage qu'on avait. Sa famille a été très présente pour moi pendant notre histoire. Les avoir perdu•e•s avec lui a été très douloureux et je ne pense pas me tromper en écrivant que cela a été réciproque.

Les jours qui ont suivi notre rupture, je suis retourné vivre à Paris, j’ai trouvé un travail incroyable, une colocation dans un appartement sublime, et tout cela sans aucune difficulté. J’avais la certitude que je devais absolument avancer et tout se mettait en place autour de moi pour que j’y arrive. Mes ami•e•s ont joué un rôle important à ce moment en m’accueillant de nouveau dans leur quotidien. Ce nouveau job, ce nouvel appartement et ce retour dans la capitale étaient l’opportunité d’avancer vite et de ne pas regarder derrière moi.

D est venu vivre à Paris à peine quelques mois après notre rupture. Il a trouvé un job alimentaire dans la rue où je travaillais. Il passait me voir de temps en temps sans prévenir. À partir de ce moment-là c’est devenu l’enfer. J’avais tout mis en place pour l’oublier et lui s’accrochait à moi. Je pense que ça devait lui faire du bien, mais ça ne m’en faisait pas à moi. Nous nous sommes revus deux, trois fois. Nos rencontres dépassaient largement le cadre amical.

Cette dernière fois où nous avons eu un rapport sexuel, la façon dont il me regardait n’avait plus rien à voir avec le regard qu’il avait posé sur moi jusqu’alors. Il me consommait comme il aurait pu consommer quelqu’un d’autre. Notre histoire était bel et bien finie. Il s’était servi de moi pour avancer et faire son deuil, mais en douceur, en me gardant sous le coude, parce que cela devait être moins violent que de ne plus se voir du tout.

Ce dernier soir après notre dernier moment intime, je suis rentré dévasté. Le lendemain matin je me suis réveillé pour aller travailler avec le sentiment que mon corps était cloué et ne pouvait plus bouger.

J'ai voulu arrêter de vivre. J’ai eu peur. J’ai envoyé des textos à mes amis et D pour leur dire que je n’avais plus la force. J’ai passé une dizaine de jours dans un centre d’accueil en psychiatrie, de mon plein gré. Pas de télé, pas d’être humain, pas de téléphone, pas de distraction. J’avais besoin d’être seul.

Avec du recul je n’avais pas envie de mourir, mais il a fallu que je tente de le faire pour que D comprenne qu’il devait me laisser. Je n’arrivais pas à lui dire, je n’arrivais pas à le repousser. Mais finalement j’ai compris que si je voulais être heureux de nouveau je ne devais plus m’en approcher.

Nous nous sommes revus deux ans après pour un dîner. Puis l’année dernière après de longues années sans nouvelles. C’est terrible mais cette dernière fois où nous nous sommes vus, j’ai eu beaucoup de peine pour lui. Sa lumière avait complètement disparu. Nous sommes devenus des inconnus.

« Ça te dirait d’aller au ciné de temps en temps ? »

Ce sont les derniers mots qu'il m'a dits.

Nous nous sommes aimés très fort et fait souffrir tout aussi fort en retour. Néanmoins il reste la personne qui m’a aidé à garder la tête hors de l’eau au pire moment de ma vie et je lui en suis très reconnaissant. Il y a des rencontres inqualifiables. Cela m’arrive régulièrement d’en faire et pas seulement dans le domaine sentimental. Il n’y a pas de hasard. De cela je suis convaincu. Je sais qu’avoir eu D auprès de moi m’a véritablement permis de devenir le garçon que je suis aujourd’hui.

Notre histoire a été marquée par la découverte de ma séropositivité et c’est probablement un événement qui nous a bouleversés tous les deux à jamais. Peu importe finalement que l’on soit séropositif•tive ou non, lorsque l’amour se présente il ne vous juge pas.

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