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28 - LES MASQUES

  • Writer: Remi
    Remi
  • Jun 8, 2020
  • 4 min read

Updated: May 3, 2021


Illustration @mehdi_ange_r (INSTAGRAM)

« La parole libère autant qu’elle isole ! »

Voici ce qu’une personne m’avait affirmé en commentaire lorsque j’avais communiqué l’existence de mon blog sur les réseaux, telle une mise en garde. J’en avais saisi le sens bien évidemment mais ne l’avais pas encore vraiment éprouvé jusqu’à présent.

Comment commencer ce nouveau récit, le premier post-confinement ?

Peut-être tout simplement en vous disant que je vais bien. J’ai profité pleinement de cette période pour me recentrer, me ressourcer, m’éloigner des éléments qui me parasitaient. Je n’ai plus fait semblant pendant toute cette période. Plus de contraintes, plus de masques à devoir porter pour être socialement intégré et intelligible.

J’ai décidé d’utiliser ce moment, cette coupure, pour faire du “s’aimer soi-même” non plus un concept mais un réel art de vivre. D’ailleurs depuis j’ai le sentiment d’aimer mieux les autres.

J’ai beaucoup créé pendant cette période et je sais bien que la création est avant tout un moyen d’exprimer ce qui ne peut être verbalisé.

J’ai beaucoup mangé aussi. Plus six kilos en six semaines. Et là je m’interroge mais sans culpabiliser.

Mes vêtements me serrent. Je sais bien que je mange n’importe comment, sans aucun plaisir. Ce cercle je le connais, je l’expérimente depuis des années.

J’en parle en analyse parce que cela me frappe. Je vis dans le silence, je suis seul, je mange, cela me pèse au sens propre comme au figuré. Je réalise que je mange pour m’empêcher de parler et que cela remonte à ma plus tendre enfance, comme lorsqu’en rentrant de l’école, mon père me mettait devant la TV pour le goûter, sachant pertinemment que la journée avait été infernale, que le harcèlement était quotidien, et pensant sûrement que le réconfort d’une orgie de gâteaux était peut-être le meilleur moyen d’apaiser mes maux, alors que j’avais juste envie que l’on prenne le temps d’écouter mes mots.

La nourriture réconfortante, la nourriture qui régule les émotions, se remplir la bouche pour ne plus avoir la possibilité de parler, manger pour donner une excuse au silence.

Voilà l’une des révélations que j’ai eues pendant ce confinement.

La seconde, et non des moindres : je fais de l’urticaire chronique depuis que j’ai neuf ans (même période où j’ai commencé à prendre du poids) liée à l’anxiété, que je soigne avec un antihistaminique de façon quotidienne. Un mois après le début du confinement je m’aperçois que je n’ai plus eu de crise, que je n’ai pas eu à prendre le médoc. Du jour au lendemain, ce truc qui me poursuivait depuis l’enfance s’est évaporé comme par magie.

J’en ai parlé à tout mon entourage. Je crois que vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela m’a soulagé de constater que cela pouvait s’en aller et surtout d’en saisir enfin l’origine. Certes mon urticaire était liée à des angoisses mais je n’avais jamais réussi à les identifier clairement. Il ne s’agissait pas simplement de faire une crise passagère à cause d’un événement stressant du genre un entretien d’embauche, passer le permis ou autre... Non, les raisons étaient bien plus complexes, et liées à une angoisse bien plus fondamentale : la peur du dehors.

Depuis que je suis enfant j’ai dû apprendre, pour survivre, à enfiler des masques, passer inaperçu, parce qu’à huit ans on n’a pas envie d’être différent, on n’a pas envie d’être traité de “pédé” dans la cour de récré, devant des professeur·e·s impassibles. On n’a pas non plus envie de se faire cracher dessus par les camarades. Non, on n’a pas envie de ça.

Cet urticaire qu’est-ce que c’était alors ? C’était ma peau, mon corps qui se protégeait du dehors, c’était un masque intégral puisque j’étais incapable de parler, de me défendre, de réagir, que je voyais les adultes autour de moi qui ne faisaient rien, qui me laissaient seul et que je me disais : « Ok, c’est donc normal, parce que si ça ne l’était pas les adultes feraient quelque chose, non ? ».

Voilà avec quoi je me suis construit : la croyance que ce que j’étais devait être camouflé par des plaques rouge sang et ma parole étouffée par de la bouffe.

Cela m’a poursuivi jusqu’à aujourd’hui.

Le confinement m'a permis d'embrasser totalement la solitude et de ne plus la subir. Je sais que le chemin sera long pour gommer les stigmates de ces nombreuses années, pourtant je suis très serein.

« La parole libère autant qu’elle isole » ?

Je n’ai jamais aussi peu été sollicité sur les applications de rencontres que depuis que mon blog est rattaché à mes profils. C’est un constat, navrant car révélateur de la tâche qui m’attend en tant qu’activiste, mais qui reflète cependant notre monde qui à bien des égards déconne complètement.

J’ai l’impression que toutes les étapes franchies depuis l’enfance m’ont préparé à vivre cette période, telle une armure qui s’est petit à petit constituée pour me protéger de la solitude émotionnelle dans laquelle je vis aujourd’hui. Je mentirais en disant que cet isolement est désagréable, j’ai totalement appris à vivre avec et me suis trouvé des astuces pour en sortir lorsque j’en ressens le besoin.

Le JOURNAL POSITIF en est une.

J’ai longtemps voulu être “normal”, être accepté, avoir plein d’ami·e·s, être aimé, avoir de la reconnaissance. J’ai longtemps recherché la validation des autres avant d’agir. Jusqu’à présent l’isolement, le silence, le dehors étaient de véritables épreuves pour moi, quasi insurmontables. Petit à petit tout a changé et j’en suis moi-même véritablement étonné. Petit à petit j’existe, je donne de la valeur à ce que je suis, je donne de la valeur à mes mots, à mon corps, à ce que je ressens. Je ne m’invisibilise plus. La parole libère, tout simplement, et s’il en résulte une certaine forme d’isolement je peux vous certifier qu’elle est confortable puisque directement connectée avec ce que je suis, sans armures, sans masques, et que je m'efforcerai de ne plus jamais en porter.



 
 
 

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